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Séminaire de l’IREM - 16 mai 2018

mardi 1er mai 2018, par MSLP-Dijon (Webmestre)

Puissance à être d’un débat scientifique en classe ou en amphi :
Mise en évidence de principes fondateurs que le professeur peut exploiter pour faire in vivo les multiples choix nécessaires pour amener ses élèves à coopérer dans la construction d’un sens profond sur les concepts qui charpentent un cours de sciences.

MARC LEGRAND

Enseignant à la retraite et chercheur actif dans le groupe "Recherches sur le débat scientifique en classe" de l’IREM de Grenoble

Ex Président de l’Adirem
 

Lieu :

Mercredi 16 mai de 16h30 à 18h30

Université Paris Diderot - Bâtiment Sophie Germain

8 Place Aurélie Nemours - Paris 13è

75013 Paris

 

Vidéos : lien

 

Puissance à être d’un débat scientifique en classe ou en amphi :

J’emprunte à Spinoza le terme « puissance à être » pour aborder de façon dynamique et réaliste le paradoxe du sens dans un enseignement. 

Depuis que je côtoie l’école, j’observe que si les résultats scolaires dépendent beaucoup des efforts pédagogiques du professeur, par contre quelles que soient les explications qu’il prodigue généreusement, une infime minorité seulement d’élèves parvient à donner aux concepts et théories un sens qui soit à la hauteur de la puissance à être de ces savoirs : être des outils de compréhension du monde. 

Ce qui est paradoxal, c’est que le savant élabore de tels savoirs pour expliquer comment fonctionne le monde et que l’élève ne retient que l’aspect du savoir « outil de réussite scolaire » !
Pour dépasser ce paradoxe, observons que le savant n’arrive pas face à une réalité complexe comme le professeur en classe avec un lot de questions/réponses très précises, il prend le temps d’habiter longuement cette « réalité » aux contours mal définis pour que ses questions très vagues se précisent.

En cherchant la saveur (savant vient du verbe latin « sapere » qui signifie « chercher la saveur »), cet humain fait d’émotions et de raison se transforme et finit par percevoir un cheminement iconoclaste par lequel le caché se dévoile.
 
Pour donner une certaine universalité à ce qui n’est au départ qu’intuition, ce savant finit par créer de toutes pièces un monde imaginaire, un modèle, une théorie où ce qui ne se produisait que rarement et était peu perceptible dans le monde ordinaire, devient soudain visible, compréhensible, voire évident pour quiconque arrive à entrer dans ce monde privé et à en connaître les clefs.

C’est justement cette entrée dans le monde privé du savant qui rend si difficile voire impossible le fait de donner tout son sens à une théorie qu’on n’a pas contribué à élaborer : comment décoder les présupposés et les intentions de l’auteur qui ne figurent plus dans le texte du savoir ? Les malentendus, les contresens et les non-sens sont d’autant plus probables dans ce partage du savoir que l’auditeur-élève vit habituellement dans un monde très différent qui ne fonctionne pas du tout avec les mêmes clefs !

Dans un cours ordinaire le professeur pense qu’il doit tout expliquer, car il ne doit pas perdre du temps à laisser ses élèves partir à la recherche de saveurs (qu’il n’a pas forcément perçues lui-même comme telles) puis à errer inutilement puisque, pour lui, un élève n’a pas puissance à mettre le doigt sur ce qui est important.

Mais, face au saut cognitif que représente pour l’élève l’entrée dans le monde imaginé par le savant, le professeur peut proposer à ses élèves de vivre l’expérience du savant là où ils ont puissance à le faire : il leur propose alors de se questionner d’une certaine façon sur un domaine de réalité qui fait suffisamment sens pour eux, pour qu’en faisant appel à leurs émotions et leur raison, ils aient puissance à y percevoir des saveurs qu’ils vont tenter de généraliser (faire des conjectures). 

Dans cette organisation du cours, ce qui est mis en discussion émanant des élèves a puissance à être âprement débattu par le groupe classe ou amphi, qui va apprendre in vivo comment on évalue dans la discipline étudiée une idée qu’on pense intéressante pour ne garder en commun que ce qui a puissance à être considéré comme savoureux, pertinent et valide. 

Notre constat sur plus de quarante années de recherche-action de la 6ème à l’agrégation, c’est qu’un professeur qui, pour donner puissance à être à l’éthique des Lumières, lie de cette façon son destin éducatif au destin cognitif de ses élèves, va permettre à chacun de ceux-ci de découvrir qu’il a puissance à être un sujet qui
- a des idées scientifiques dès qu’il s’en accorde le droit, 
- est capable d’aller à la recherche du sens profond des savoirs fondamentaux qui sont à la base du cours 
- canalise ses émotions sans les éteindre quand il exprime ses idées dans la langue de la discipline, s’inscrit joyeusement dans l’intelligence d’un groupe si celui-ci se structure autour de la puissance à être de l’altérité « nous, les humains, sommes mêmes et différents ! » (« mêmes » permet de partager le pertinent et valide, « différents » de découvrir ses erreurs).


A Grenoble le 12/04/2018

Marc Legrand.